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Le projet pétrolier Tchad-Cameroun: leçons préliminaires

25 May 2003

Samuel Nguiffo (Centre pour l’Environnement et le Développement, Yaoundé)

Le projet pétrolier Tchad Cameroun a été approuvé par la Banque Mondiale en juin 2000, après plus de trois ans d’intenses discussions entre les différents acteurs intéressés (les multinationales impliquées, la Banque Mondiale, les gouvernements des pays membres du Conseil d’Administration de la Banque Mondiale, les ONG écologistes du Sud et du Nord). En réponse aux griefs du mouvement écologiste mondial, la Banque Mondiale a proposé un montage institutionnel (institutional design) visant à imposer aux multinationales des règles en matière sociale et environnementale, et à renforcer les capacités des gouvernements du Cameroun et du Tchad afin de leur permettre d’assurer une gestion efficace des opportunités et risques liés au projet.

S’il est prématuré de dresser un bilan exhaustif du projet pétrolier au moment où la construction prend fin, il semble possible, à quelques semaines du passage du premier baril de pétrole (first oil), de tirer les leçons préliminaires de cette expérience unique en Afrique au sud du Sahara.
Il est important de rappeler que de nombreux observateurs s’interrogeaient sur la pertinence de l’implication de la Banque Mondiale dans ce projet, eu égard aux objectifs de lutte contre la pauvreté de cette institution, qui semblaient incompatibles avec un investissement de cette nature. A l’appui de leurs réticences, les ONG évoquaient les expériences antérieures d’exploitation pétrolière en Afrique, dont aucune n’a jamais été un vecteur de développement, comme l’indiquent les exemples angolais, congolais, gabonais, camerounais, nigérian, équato-guinéen.

A l’heure du bilan, c’est sans surprise que l’on peut constater que (presque) rien n’a fonctionné suivant les prédictions de la Banque Mondiale. Quatre points nous semblent illustrer cette faillite de la Banque Mondiale :

1. L’inaptitude de la Banque à influencer de manière décisive le comportement des multinationales. La Banque Mondiale a été inapte à assurer, comme elle s’y était engagée, le respect de ses politiques environnementales et sociales par les multinationales formant le consortium. Très vite, le Groupe Consultatif International (International Advisory Group) mis en place pour assurer le suivi du projet pour le compte du conseil d’administration de la Banque Mondiale s’est inquiété de la double vitesse du projet (two speed project), avec des travaux de construction qui étaient largement en avance sur le calendrier, tandis que les mesures d’atténuation sociales peinaient à démarrer. A la fin des travaux de construction, le projet de renforcement des capacités destiné à permettre au gouvernement d’assurer le respect des plans en matière de santé, de compensation, et de gestion de l’environnement, peut à peine indiquer une seule de ses réalisations. Et le Plan pour les Peuples Autochtones Vulnérables dont le territoire a été traversé par l’oléoduc n’en est qu’à ses balbutiements. Au cours des deux dernières années de la construction, l’implication de la Banque Mondiale a davantage consisté en la gestion des risques (damage control) qu’en la quête de la réalisation des objectifs positifs de ses politiques et directives opérationnelles (operational policies and directives).

2. La présence de la Banque Mondiale n’a pas forcément amélioré les conditions de l’accord entre le consortium et les Etats du Cameroun et du Tchad.
Le territoire du Cameroun et du Tchad fournis dans le cadre du projet n’a pas été valorisé dans le calcul de leur participation financière au projet. De plus, de nombreuses responsabilités sont attribuées aux gouvernements, aussi bien en matière de gestion de l’environnement que dans le cadre de la mise en œuvre des mesures de sauvegarde sociale. Enfin, les bénéfices économiques directs et indirects du projet seront d’autant plus réduits au Cameroun que la phase de la construction était hors taxes, réalisée avec des sous-traitants étrangers (dont certains étaient localisés dans des paradis fiscaux). Les royalties tirées du transport du pétrole rapporteront environ 16 millions de dollars par an au Cameroun, soit environ 1 dollar par habitant et par an…

3. Les mécanismes de contrôle sont inopérants. Le projet prévoit 7 niveaux de suivi, mais ils sont soit inefficaces (seul Exxon dispose de la capacité d’assurer un suivi quotidien du projet), soit sans pouvoir réel, en ce sens que leur compétence est limitée à la formulation de recommandations, dont ni la Banque Mondiale ni Exxon ne sont obligée de tenir compte. C’est le cas du Groupe Consultatif International (IAG), dont les rapports n’ont pas toujours été suivis d’effets.

4. Les travaux se sont traduits par des problèmes sociaux et écologiques graves. La construction a donné lieu à de graves problèmes sociaux le long du tracé. Ainsi, de graves contestations ont été constatées sur les montants des compensations, dont certaines se sont traduites par un appauvrissement substantiel des victimes. De plus, dans de nombreux villages, les sources ont été détruites, privant les populations de l’accès à l’eau potable, et les exposant à des maladies hydriques. Ainsi, le village Mpango attend depuis 1998 la restauration de sa source d’eau potable. Enfin, l’inflation a été forte dans les deux pays, et les populations rurales ont eu à faire face à une insécurité alimentaire sévère, et à une recrudescence des problèmes de santé, et notamment du VIH.

La violation des promesses relatives à la phase de la construction est une source d’inquiétude pour l’avenir de ce projet. On évoque d’ores et déjà l’extension de la zone d’exploitation pétrolière à l’est du Tchad, au nord de la République centrafricaine et au nord du Cameroun. Dans un contexte où la Banque Mondiale ne disposera plus d’aucun moyen de pression sur le consortium, il est difficile d’imaginer que les opérations seront plus respectueuses des hommes et de la nature qu’au cours des trois dernières années. Le principal mérite de ce projet est d’avoir confirmé qu’il existe, dans le contexte des régimes autoritaires, une incompatibilité fondamentale entre les objectifs de réduction de la pauvreté et les activités d’exploitation pétrolière.